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Contextualisation, inculturation, syncrétisme ?

Un projet de publication de textes de chrétiens asiatiques

Janvier 2010

Alors que Jésus parlait araméen, tous les écrits du Nouveau Testament nous sont parvenus en grec. Dès le début de l’ère chrétienne, le message de Jésus est donc passé d’une culture à une autre, d’un contexte à un autre. Ce passage ne pouvait évidemment se faire par une simple transposition. Deux réalités étaient en jeu : d’une part Jésus, sa vie, son message, son action et d’autre part les divers « mondes humains » environnants et principalement le monde gréco-romain. L’articulation de ces deux entités a toujours été cruciale, mais aujourd’hui, avec la mondialisation qui permet de connaître l’existence de nombreux mondes socio-culturels, elle apparaît plus importante que jamais. En général, les efforts correspondant à la « contextualisation » ou à l’ « inculturation » sont encouragés comme positifs, tandis que l’on se montre sévère pour tout ce qui s’apparente à du « syncrétisme ».

Cette sévérité vis-à-vis du syncrétisme mérite d’être observée de plus près. Le christianisme occidental n’a-t-il pas pris à son compte des réalités qui étaient précédemment païennes ? La Noël n’a-t-elle pas remplacé les saturnales ? Les traces pré-chrétiennes ne sont-elles pas nombreuses dans le calendrier chrétien ? Ne retrouve-t-on pas le souvenir de fastes de l’Empire romain dans certaines liturgies catholiques ? À Madagascar, comment les chrétiens se situent-ils face au rituel familial du « retournement des morts » ?

Question plus générale : comment les chrétiens se considèrent-ils, sans schizophrénie, vraiment membres de leur culture et vraiment membres de la communauté chrétienne ? Les différences culturelles ne l’emportent-elles pas sur l’appartenance commune ? Cette question n’est pas sans similitude avec la théologie de l’incarnation : Jésus vrai homme, vrai Dieu « sans confusion, sans séparation » (Chalcédoine). Et, comme pour la christologie, les deux portes d’entrée et les deux accentuations sont possibles : d’abord la foi ou d’abord la culture, l’important étant le maintien des deux.

Évidemment, la fidélité à l’Évangile n’est pas compatible avec n’importe quoi. Par exemple, dans l’Afrique actuelle, on observe une résurgence de la sorcellerie et de son cortège d’exclusions violentes. Les chrétiens ne peuvent s’en accommoder. Il faut bien reconnaître que les critères d’incompatibilité ont varié au cours de l’histoire (voir la douloureuse histoire des rites chinois). Aujourd’hui encore, la recherche de ces critères reste une des tâches majeures de la missiologie.

* * *

C’est notamment vrai pour l’Asie. Aussi l’AFOM a-t-elle ouvert un chantier sur ce continent. À partir du 16e siècle, avec l’expansion de l’Occident, de nouvelles Églises y sont nées, calquées sur le modèle européen. Aujourd’hui, la personne de Jésus continue de séduire des fils et des filles de l’Asie. Mais ceux-ci doivent-ils nécessairement faire le détour par la culture occidentale pour suivre Jésus et passer par les catégories de la pensée théologique élaborée dans les traditions occidentales pour réfléchir et dire leur expérience de foi ?

Après avoir publié un recueil de textes de théologiens africains1, l’AFOM a décidé de préparer un nouveau recueil qui donnera la parole à des théologiens enracinés dans la culture asiatique et qui pensent Jésus et le Royaume de Dieu à partir de cet enracinement. Il ne s’agit évidemment pas d’une anthologie qui prétendrait faire le tour de la production théologique en Asie, cela nécessiterait sans doute plusieurs volumes, mais plutôt d’un « livre-apéritif » susceptible d’aiguiser la curiosité du francophone non-spécialiste et de lui faire entrevoir la richesse de la sagesse asiatique et de la pensée chrétienne qui s’est développée sur ce continent. En effet, il existe toute une production théologique véhiculée par d’autres structures mentales que celles de l’Occident. Ces témoins peuvent stimuler les chrétiens occidentaux -catholiques et protestants- dans leur recherche spirituelle et les aider à relativiser le quasi-monopole de la tradition européenne avec son héritage gréco-romain dans l’élaboration de la réflexion théologique. N’est-ce pas en accueillant l’autre que l’on se comprend mieux soi-même ?

De plus, alors qu’en Occident, le christianisme perd peu à peu sa place prépondérante, les chrétiens asiatiques ont toujours été minoritaires dans un contexte pluraliste. Cette situation de fragilité les pousse à se situer d’une manière « dialoguante » dans leur société. L’évêque catholique philippin, Luis Antonio Tagle, va même jusqu’à avancer l’idée selon laquelle lorsque la communauté chrétienne occidentale ne sera plus qu’un « petit troupeau », ses membres vivront ce que les chrétiens asiatiques connaissent aujourd’hui. Peut-être alors, regarderont-ils comment se vit la mission en Asie2.

Un trio s’est attelé à ce travail : un membre de l’équipe des « Voies de l’Orient » (Bruxelles), un journaliste et le signataire de ces lignes.

Maurice Cheza,

membre du Conseil d’administration de l’AFOM.

 
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