L’Eglise en Europe : état des lieux et vision (Strasbourg, 23-25 avril 2006)

Juin 2006 -- A paraître prochainement dans la Revue Théologique de Louvain

La quatrième rencontre internationale des doctorants du Sud en Europe, organisée par l’Association Francophone Œcuménique de Missiologie (AFOM) s’est tenue à Strasbourg du 23 au 25 avril, au Centre Culturel St Thomas.

Pour mémoire, trois rencontres de doctorants ont été organisées jusqu’à maintenant par l’AFOM :

Tel que cela fut rappelé par J.-F. Zorn en introduction, un des buts de la rencontre est, à travers les thèmes choisis, de favoriser les échanges entre les doctorants afin de faire naître des relais dans leurs pays d’origine qui puissent poursuivre la réflexion missiologique oecuménique dans l’esprit de l’AFOM

Une fois n’est pas coutume, la délégation néo-lovaniste était composée de trois européens : le professeur émérite M. Cheza, K. Kolis, doctorant polonais et moi-même. Cependant, sur place, la proportion des Africains s’est révélée majoritaire puisque ne se trouvaient aucun doctorant asiatique, aucun américain, et seulement un doctorant malgache et trois doctorants européens. La participation féminine s’est avérée, de nouveau, très minoritaire : trois femmes sur environ vingt-cinq doctorants. A l’image des trois rencontres précédentes, le caractère œcuménique et inter-universitaire était très présent, ce qui a contribué incontestablement à la richesse des discussions.

Le soir de leur arrivée, les participants furent accueillis par un verre de l’amitié en présence de Monseigneur Doré, Archevêque de Strasbourg, qui a souligné l’importance de promouvoir des rencontres œcuméniques dans le cadre de la mission ainsi que la nécessité de poursuivre la réflexion en matière de missiologie.

Suite à une demande exprimée lors de la rencontre précédente, à Montpellier, le thème retenu pour cette quatrième rencontre devait offrir l’occasion aux participants de se pencher sur le contexte qui est celui de leurs pays d’accueil durant le temps de leurs études, à savoir « l’Eglise en Europe ». Pour ce faire, une place importante avait été réservée à l’échange entre les participants.

Le lundi matin, J.-G. Gantenbein a introduit la réflexion par un exposé de sa recherche menée à partir du livre de H. Godin et Y. Daniel (1943), La France pays de mission ?. Dans ce livre, qui fit grand bruit lors de sa parution et a influencé durablement les aspects de la missiologie et de la mission, les auteurs définissent la mission comme l’établissement de la chrétienté dans un milieu où elle n’existe pas encore, en l’occurrence, le monde ouvrier qui, en France, ne comporte pas moins de plusieurs millions de personnes en 1943. Cette étude départage la France entre zones de chrétienté, zones non pratiquants et zones de mission, et fut, de ce fait une des premières à renverser le mythe géographique de la mission : la mission n’est pas nécessairement liée à un lieu, et surtout, ne concerne pas seulement les pays du Sud. Après avoir présenté l’ouvrage et l’avoir replacé dans son contexte, J.-G. Gantenbein a analysé les répercussions de celui-ci, en particulier dans la façon de penser la mission en France. Ainsi, si ce livre n’est pas à l’origine du mouvement des prêtres ouvriers, il l’a incontestablement influencé. De plus, il marque l’abolition de la séparation entre mission en Europe et hors Europe. Enfin, il constitue un témoignage poignant – quoique daté – de la déchristianisation en France et en devient comme le symbole.

Le second exposé de la matinée a donné place à un point de vue africain par S. Voedzo, doctorant en théologie et prêtre en charge pastorale en Alsace. Dans un premier temps, l’intervenant a dressé un état des lieux de l’Eglise en France. Sur le plan pastoral, celui-ci peut se résumer de la sorte : « Jésus-Christ oui, l’Eglise non ». En effet, l’Eglise de France est en état de crise, caractérisée par une diminution catastrophique du nombre de pratiquants et de vocations religieuses. La conscience d’appartenir à une paroisse disparaît. De manière générale, on note une préférence pour les communautés employant un langage plus simple dans l’expression du Credo ; d’où le succès des communautés nouvelles, du courant évangélique, mais aussi des courants de la tendance dite « New Age », au risque d’un certain retour au paganisme. Sur le plan institutionnel, des efforts sont faits afin de rendre visible la présence de l’Eglise en Europe. Des efforts sont également faits en vue de la collaboration œcuménique. L’Eglise est de plus en plus en phase avec l’Europe, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles. Par contre, l’Europe prend nettement distance par rapport à l’Eglise et refuse d’assumer ses origines chrétiennes. Dans un second temps, S. Voedzo nous a livré un certain nombre de réflexions et d’interpellations, qui s’enracinent dans son point de vue désigné comme « un point de vue africain ». Ainsi, malgré les difficultés que cela représente, c’est légitimement que l’Eglise se veut « l’âme de l’Europe » et soutient les droits de l’homme et de la femme. C’est dans cette ligne qu’il faut comprendre le nom choisi par le nouveau pape : Benoît XVI, de St. Benoît, père de l’Europe. Cependant, l’Eglise peut-elle encore prétendre avoir une mission en Europe ? L’Europe n’est-elle pas devenue une terre de mission ? C’est sur ces questions que s’achève ce deuxième exposé.

Avant de laisser place à un échange entre les deux intervenants et l’ensemble des participants, J.-G. Gantenbein nous a fait part des prémisses de sa recherche qui consiste à dégager des critères pertinents de missiologie pour la culture occidentale. Ces critères sont tirés, pour l’essentiel, de l’étude des travaux de D. Bosch, F. Walldorf et L. Newbigin. En premier lieu, J.-G. Gantenbein cite des critères contextuels : il faut, avant tout, briser le tabou qui veut que l’on ne parle pas de la mission en Occident. De fait, l’idée de la mission s’articule difficilement à la revendication de liberté de conscience qui est la nôtre. De plus, un préjugé historique lie souvent la mission à l’Etat et à un processus de négation des cultures ; dans ce sens, la décolonisation et l’autonomisation des jeunes Eglises s’est vue assortie d’une crise de la mission. De plus, le développement croissant de la sécularisation et de la laïcisation contribue à reléguer toujours plus le religieux et la mission dans le domaine du privé. Dans ce contexte, la missiologie est une discipline théologique marginalisée. En plus de briser le tabou, poursuit J.-G. Gantenbein, il faut briser le mutisme qui rend difficile la transmission du contenu de la foi, en crise depuis plusieurs décennies. Les raisons de ce mutisme sont probablement à chercher dans l’ignorance de beaucoup de chrétiens sur le contenu de leur propre foi ainsi que dans l’évolution de notre culture vers le pluralisme et le relativisme. Dans ce contexte, comment présenter une vérité universelle sans être suspecté d’intolérance ? S’ajoute à ces difficultés l’inculture religieuse de la plupart de nos contemporains qui fait que l’on ne comprend pas le langage des chrétiens, y compris au niveau du vocabulaire. Face à ces constats, l’intervenant affirme la nécessité d’une nouvelle contextualisation, ainsi qu’une remise en question de la dichotomie entre espace public et privé : l’Evangile est une vérité publique et ne doit pas demeurer dans la sphère privée. La réflexion missiologique doit aussi tenir compte des nouveaux courants religieux émergents à travers lesquels se manifeste un recul du religieux institutionnel au profit d’autres formes du religieux beaucoup plus diffuses. La liste des critères contextuels s’achève sur la nécessité d’un constat : le foyer du christianisme s’est déplacé dans l’hémisphère sud. J.-G. Gantenbein poursuit l’exposé en exposant brièvement un certain nombre de « critères bibliques », parmi lesquels : la mise en place d’une véritable théologie missionnaire dans les études de théologie, une « décléricalisation » de la théologie qui permettrait aux laïcs de faire le pont entre l’espace public et l’espace privé, une redécouverte de l’eschatologie, une christologie biblique, une réflexion sur les conditions de possibilités d’un message exclusif dans un monde pluriel, le développement d’une éthique sociale et d’une spiritualité chrétienne s’enracinant dans une communauté vivante. L’échange qui a suivi avec les participants a mis notamment en évidence la difficulté d’arriver à une définition claire de la mission, valable pour les différentes traditions chrétiennes.

L’après-midi de ce jour fut consacré à un temps de travail en groupe, autour d’un certain nombre de questions dont le choix revenait aux participants. Cinq questions firent l’objet d’une mise en commun, dont quatre ce même jour et une le lendemain. A la première question – « Quelle est votre analyse de la dynamique missionnaire des églises européennes ? » – les participants ont souligné un déséquilibre entre diaconie et annonce de la parole, au point que l’on ne peut parler de réelle dynamique missionnaire dans les Eglises en Europe.

La deuxième question proposait de distinguer, parmi les critères donnés par J.-G. Gantenbein, ceux qui paraissent pertinents pour le contexte européen. Ce sont essentiellement les critères dits « bibliques » qui ont été retenus. Cependant, on relève la nécessité d’une herméneutique afin que ces critères puissent s’exprimer et se faire comprendre dans le contexte européen.

La troisième question retenue était la suivante : « Avez-vous l’impression que les églises européennes élaborent de nouveaux modèles de contextualisation de l’Evangile » ? Les groupes ayant travaillé cette question ont répondu par l’affirmatif, citant des pratiques de proximité comme les groupes de lecture de l’Evangile, le rôle grandissant des laïcs et le dialogue inter et intra religieux qui peut être vu comme un paradigme de mission. D’un autre côté, l’Europe est complexe et on ne peut parler d’un contexte mais de contextes. D’autre part, l’Europe peut-elle présenter – comme elle le fait encore – un christianisme universel alors que son expression croyante est elle-même contextualisée ?

Enfin, face à la question « qu’est-ce que les églises européennes peuvent-elles apprendre en matière de mission de votre expérience personnelle et ecclésiale ? », les participants ont souligné que, plutôt que de souffrir d’un manque de contextualisation, l’Europe est tombée dans une contextualisation à outrance, ou plutôt, dans un conformisme excessif avec les mentalités ambiantes. Ce constat déstabilise l’Africain qui vient de pays où les valeurs chrétiennes sont toujours vivantes telles qu’elles ont été transmises par les missionnaires. Des Eglises africaines, les Eglises européennes pourraient apprendre une certaine immédiateté de la foi : on croit, on vit. De plus, quelle place les Eglises d’Europe laisse-t-elle à la mission ?

La journée s’est achevée par une visite du centre historique de la ville, une célébration œcuménique et un repas au Foyer de l’Etudiant Catholique.

Le second jour de la rencontre fut l’occasion de découvrir ou de connaître d’avantage différentes réalités vécues par le mouvement œcuménique. Ainsi, J.-F. Zorn nous a brossé un compte rendu de l’assemblée mondiale du Conseil œcuménique des Eglises qui s’est tenue à Porto Alegre du 14 au 23 février 2006. Lui-même était présent en tant que délégué de l’Eglise Réformée de France. Après avoir rappelé ce qu’est le COE et avoir évoqué brièvement le cadre de cette 9ème assemblée mondiale, J.-F. Zorn a présenté un montage audio-visuel rapportant l’ambiance du rassemblement et présentant bon nombre des participants à la rencontre. Rappelons que le COE compte actuellement 347 églises, dont 10 % d’anglicans, 30 % d’orthodoxes et 60 % de protestants2. La rencontre de Porto Alegre a mobilisé environ 4000 personnes. Mr. Zorn a poursuivi son exposé en évoquant les points essentiels qui firent l’objet de discussion. Parmi ceux-ci, on retiendra la difficulté des rapports Nord-Sud : comment ne pas tomber dans le piège de l’accusation du Nord par le Sud et comment dépasser ce passif pour bâtir l’avenir ? Il fut également question de l’avenir du COE à travers un certain nombre de difficultés soulevées par la délégation orthodoxe. A l’issue des discussions, il a été décidé d’abandonner le vote de type républicain démocratique, qui mettait les orthodoxes en minorité, au profit du consensus. De même, un changement a été apporté aux critères d’adhésion au COE. Des critères théologiques ont été adoptés, parmi lesquels la foi dans le Dieu trinitaire et telle que reflétée dans le Credo de Nicée-Constantinople. Parmi ces critères, certains touchent à la capacité des Eglises à reconnaître d’autres réalités ecclésiales : ainsi, les adhérents s’engagent à reconnaître la présence du Saint Esprit en dehors de leur Eglise propre et à reconnaître dans les autres Eglises membres des éléments de la véritable Eglise, même s’ils ne considèrent pas ces Eglises comme des Eglises au sens premier du terme. La rencontre de Porto Alegre s’est achevée par une prière composée pour pouvoir être dite par l’ensemble de la communion œcuménique. De cette rencontre se dégage, selon les mots de Mr. Zorn, « le sentiment d’une vitalité considérable du christianisme sous toutes ses formes, le désir d’être ensemble, la joie et l’enthousiasme. On en ressort grandi communautairement ».

Nous avons ensuite repris la mise en commun sur le travail de réflexion en groupe entamé la veille. Une question restait à traiter : « Comment réformer les études de théologie en rapport avec le défi missionnaire actuel en Europe » ? A cette question, plusieurs participants ont souligné la nécessité de mettre au programme un cours de missiologie et surtout d’entamer une réflexion destinée à mettre d’avantage en lien la vie pratique et les pratiques d’Eglises avec la formation théologique. En effet, il est important que les pasteurs soient formés aux besoins des communautés.

Malheureusement, suite à un ordre de la préfecture en raison de possibles manifestations dans la ville, la faculté de théologie de Strasbourg se trouvait fermée et n’a pas pu être visitée. De ce fait, après une brève information sur l’AFOM, les participants ont rejoint le quai St Thomas pour un repas au foyer de l’étudiant protestant.

L’après-midi fut consacrée à la rencontre de deux intervenants sur le terrain de la mission. Ch. Zenses est responsable du service de formation professionnelle des pasteurs pour l’Alsace-Lorraine pour les églises luthériennes et réformées. Celui-ci nous a fait part du cursus de formation demandé aux futurs pasteurs. A la question de l’adéquation de la formation aux nécessités du terrain, Mr. Zenses a déplacé la perspective d’une façon intéressante en affirmant que la but de la formation théologique n’est pas d’abord d’être directement utile au terrain, mais plutôt de fournir des outils théologiques permettant d’être à même de réfléchir aux réalités du terrain. Plutôt que d’être une discipline parmi d’autres, la théologie pratique est un peu le lieu de la transversalité entre toutes les disciplines.

Ove Ullestad est, quant à lui, responsable du service protestant de relations avec l’Islam. Son intervention a donné l’occasion de terminer la rencontre sur un domaine qui n’avait été jusqu’ici que peu abordé, celui du dialogue interreligieux. Il a, de plus, donné un certain nombre de repères sur la présence de l’Islam en France, desquels ressort, notamment, la nécessité d’une prise de conscience de l’importance et de la grande diversité de l’Islam dans ce pays. En ce qui concerne le dialogue inter religieux, on note, en Alsace, une évolution : si ce type de dialogue fut longtemps laissé à la seule initiative officielle des églises, il est de plus en plus le fruit d’initiatives privées, de rencontres de proximités entre personnes amenées à vivre ensemble. Cette nouvelle forme de rencontre échappe au contrôle des Eglises mais est porteuse d’une richesse indéniable.

A l’issue de cette rencontre, les participants ont regagné leurs voitures ou pris le chemin de la gare, pour la plupart enchantés de la qualité de l’accueil et de la richesse des échanges. On ne peut que remercier l’AFOM pour cette initiative à laquelle il faut souhaiter longue vie.



Catherine Vialle

Assistante à la Faculté de Théologie de l’UCL



1 Voir compte rendu par S. Moke dans RTL 35 (2004) 571-575.

2 L’Eglise catholique, bien que suivant les travaux du COE de très près, n’en est pas membre.